Connaissant parfaitement leurs organisations, les directeurs.trices, président.es et autres responsables sont très souvent pleins d’idées et de motivation pour faire évoluer leur structure, dans un souci du meilleur accompagnement possible des personnes, qu’elles soient professionnelles ou usagères.
Déchirés entre le souhait de faire évoluer leur organisation pour la rendre la plus attractive possible pour les professionnels et les contraintes, urgences et déboires du quotidien, les responsables peinent à trouver de l’énergie et du temps pour engager une évolution profonde.
Pour fidéliser et recruter du personnel, il faut envisager une nouvelle attitude managériale ou de gouvernance. Mais quand le temps manque car il faut urgemment recruter ou résoudre des problèmes immédiats, les projets de fond et de long terme sont reportés.
L’accompagnement des organisations du secteur par des professionnels de l’ingénierie médico-sociale et de l’Assistance à Maîtrise d’Usage permet de dégager du temps pour les porteurs de projets d’évolution organisationnelle et d’insuffler le changement à leurs côtés. De nombreuses entités font appel à ces organismes externes en soutien à leurs projets.
Consciente de la nécessité de soutenir et accompagner la transformation de l’offre aux personnes accompagnées et de fait, la transformation des organisations, la Caisse Nationale des Solidarité pour l’Autonomie (CNSA) a introduit tout ou partie du financement d’intervention d’ingénierie médico-sociale ou d’AMU dans son Plan d’Aide à L’investissement de 2021 1. Ce dispositif permet notamment de partager le poids du projet avec d’autres professionnels spécialisés.
Accompagnement de la transformation du secteur médico-social : l’importance de l’ingénierie médico-sociale et de l’AMU
L’ingénierie médico-sociale est une fonction support à la conduite de projet dans les établissements, services, et structures du secteur. Elle les accompagne notamment dans le développement d’organisations innovantes basées sur la recherche d’impacts sociaux et relationnels, dans la promotion de la qualité de vie des usagers et des professionnels.
L’ingénierie médico-sociale est une offre de service d’assistance et de conseil sur les thèmes de la création et de la transformation des organisations, du développement des stratégies et des projets, et de l’innovation au service des porteurs de projets. Mutualisant les ressources, compétences et expertises d’une équipe pluridisciplinaire le plus souvent, elle devient le levier principal dans l’évolution des organisations, permettant au responsable de confier son projet, ses besoins et ses attentes à une équipe à son service. Tout l’enjeu de l’accompagnement par une équipe d’ingénierie médico-sociale réside dans le respect et la compréhension des problématiques spécifiques de l’organisation, les usages, les missions, et le sens de la transformation : « L’Assistance à Maitrise d’Usage (AMU) répond à un besoin de transformation car elle détecte les besoins des usagers, et les usagers… c’est tout le monde ! […] L’AMU demande une radicalité dans la conception des usages, pesant significativement dans la hiérarchie des besoins du projet. Il n’y a pas de négociation avec l’usage », propos recueillis auprès de Simon BOUSSARD, Designer du pôle médico-social chez Sensipode (janvier 2023).
Ainsi, par différente méthode d’accompagnement, l’AMU vise à intégrer les besoins et les aspirations des usagers professionnels ou bénéficiaires de l’organisation. Les usagers sont alors associés à la création du projet qui aura un impact sur les usages mêmes. Cette cocréation, cette écoute et cette participation de l’usager, favorisent l’appropriation du projet et la valorisation de l’usager. Cela permet de décloisonner les approches, d’engager l’usager dans un participation active dès les phases préparatoires au projet, et d’intégrer l’ensemble des parties prenantes dans une démarche qualité avec une vision pérenne.
L’AMU est une démarche globale qui croise l’expertise d’usage et l’expertise technique, apportant une dimension sociale et participative forte au projet. Par exemple, la méthode de conduite de projet nommée « Processus Phy » par Mme Nelly VAUTRIN, apporte l’expertise du secteur et l’implication des usagers dans une vision transversale qui rapproche toutes les parties prenantes du projet, et à toutes les étapes de celui-ci (de la conception à la mise en application).
Le temps faisant, les mesures gouvernementales s’amoncelant, la société financière s’imposant, nous nous sommes éloignés de cette prise en compte des usages, et de leur positionnement prioritaire dans le fonctionnement de nos organisations. Nous avons étouffé nos organisations par des tableaux de reporting et de contrôles divers, des chiffres et statistiques toujours plus nombreux, et nous nous y sommes accoutumés, trouvant cela « normal ». À force de vivre avec un problème, de le connaître, d’en parler, on finit par considérer son existence comme normale et on oublie son aspect problématique. Cette attitude est appelée « la normalisation de la déviance », notion de Diane VAUGHAN, sociologue. Cette normalisation de la déviance des usages dans le secteur médico-social asphyxie nos organisations et se trouve désormais bien identifiée par les responsables.
M. Clément BOSQUE dénonce « une culture doloriste et un discours envahissant » concernant la prise en compte des usages des professionnels et de leur image : « Notre secteur aime penser que ses spécificités sont inassimilables par le reste du monde. Qu’être en relation d’aide est particulier… mais c’est ce que tout le monde attend, c’est un besoin universel […] Il y a une certaine culture doloriste, un discours envahissant duquel il faut se dégager », notamment pour être attractif pour les professionnels.
Désormais, les responsables porteurs de projets, accompagnés par de solides équipes, souhaitent « dénormaliser » cette déviance au profit de l’insufflation d’un changement de culture et de paradigme, au service des usagers avec des ambitions d’attractivité organisationnelle forte, au plus proche des attentes et usages des professionnels.
En tant que responsables, dirigeants.es, présidents.es, nous avons la responsabilité d’apporter l’aide humaine nécessaire, appropriée et adaptée aux besoins du parcours de vie de chaque personne accompagnée. Pour cela, nous avons besoin des aidants professionnels, de leur engagement, de leurs savoir-faire et savoirs-être, de leur force, de leurs idées, de chacun d’entre-deux tels qu’ils sont et dans l’entièreté de leur individualité. Nous devons les convaincre à nouveau de l’attractivité de notre secteur d’activités et de services à la personne. Nous devons élaborer des scénarios prospectifs respirants et engageants, des stratégies de développement valorisant la qualité de vie et les conditions de travail, et oser un nouveau rapport au travail. L’appropriation de ce changement de paradigme nous appartient.
Pour rendre nos organisations attractives, il faut accompagner leur évolution vers de nouveaux fonctionnements, de nouvelles relations interprofessionnelles fluides et respirantes, et de nouveaux modes de gouvernance. Insufflant de nouvelles dynamiques organisationnelles avec un fonctionnement au plus proche des projections, attentes et souhaits des aidants professionnels, en phase avec leur époque. La transformation des organisations du secteur social et médico-social passe par un néomanagement humaniste et consécutivement, une mutation complète des relations intra organisationnelles, redonnant le seul, unique et indispensable rôle aux aidants professionnels, tels nos globules rouges oxygénant la totalité de l’organisme jusqu’aux plus petites cellules : le premier rôle.
Merci à Mr Jean-René LOUBAT, Psychosociologue et Docteur en sciences humaines, Mr Thibaut BRIERE, Philosophe du travail et de la transformation des organisations, Mr Pascal USSEGLIO, Directeur Régional Centre Val de Loire APF France handicap, Mr Frédéric BANCEL, Directeur Régional Pays de la Loire APF France handicap, Mr Simon BOUSSARD, Designer de service pôle médico-social Sensipode, et Mr Clément BOSQUE, Directeur INFA et auteur, pour le temps qu’ils m’ont accordé et le partage de leurs idées, connaissances et visions prospectives.