Écriture : Nelly VAUTRIN Facilitation graphique : Nathalie GENY
Un air nouveau pour une nouvelle ère des systèmes et des organisations.
Dans un contexte de suffocation chez les professionnels du secteur social et médico-social, faisant suite notamment à un contexte épidémiologique mettant en tension nos structures depuis 3 ans, ou encore à un EHPAD bashing sans précédent et généraliste, les recrutements de professionnels sont extrêmement compliqués dans les organisations d’aide humaine, la fidélisation des professionnels du secteur n’est plus un sujet envisageable, et les départs volontaires sont quotidiens. Les revalorisations diverses (SEGUR 1 et 2) ne suffisent plus à attirer ou maintenir en poste les professionnels.
Cette situation inédite dans le secteur social et médico-social est-elle uniquement due à une situation de crise ? Peut-on encore considérer qu’un évènement qui dure et s’amplifie depuis plus de 20 ans est une crise ? Ne sont-ce pas là les signes avant-coureurs d’une évolution sociétale majeure, tant dans l’accompagnement des personnes dans leur parcours de vie, que dans les pratiques et comportements des aidants professionnels ?
Une nouvelle réflexion s’inspire entre autres, de la psychologie du travail, des études démographiques et sociétales, et de la sociologie des organisations. Telle une pause, cette réflexion apnéique nous guide et nous entraîne, vers une introspection profonde de nos méthodes de travail ancrées dans un passé qui ne peut appartenir au futur, et dans la projection immédiate d’une adaptation inévitable.
« Il nous faut faire en 10 ans ce
Jean-René LOUBAT.
qu’on aurait dû faire en 30 »
Comment la socio-démographie influe sur le secteur social et médico-social : défis et solutions pour attirer les professionnels de l’aide humaine et adapter les organisations
Premier facteur d’évolution sociétale, la socio-démographie détermine qui sont les nouveaux acteurs professionnels et leurs relations. Désormais, il appartient à la génération Y, qui représentera 75% de la population active en 2025, d’insuffler un air nouveau dans les organisations ; entraînant ses aînés X dans la transmission des savoirs et guidant l’accompagnement des plus âgés des jeunes Z.
Quatre « générations » se côtoient au sein des organisations, allant des plus jeunes babyboomers, au plus âgés des Z! L’approche générationnelle dans la structuration des organisations est un piège car aucune place dans l’alphabet ne peut ordonner ou définir la place, le statut ou la situation de l’individu dans l’organisation. En revanche, la structure même de l’organisation, son fonctionnement, sa gouvernance, son inflexibilité ou son agilité détermineront son efficience et sa pérennité : « C’est l’organisation qui crée la force collective et ce n’est que dans ce cadre de l’organisation que l’individu peut donner sa mesure » Marcel GAUCHET, Philosophe, Le Nouveau monde (2017).
Nous avons donc peu de temps pour agir avant l’asphyxie complète de nos systèmes d’accompagnement, et cette charge incombe aux responsables de structures, aux présidents et directeurs d’association, aux responsables de l’action sociale et de l’économie sociale et solidaire… Comment attirer dans notre secteur les professionnels de l’aide humaine ? Comment mettre en place des organisations attractives ?
Nul besoin d’un constat supplémentaire sur notre résilience à l’hyperventilation du système, ni à notre capacité à survivre sous ventilation assistée… Désormais, laissons respirer les innovations managériales, inspirons-nous des pionniers de cette nouvelle ère, et insufflons dès à présent de l’oxygène pur dans les organisations.
Comment renouveler les pratiques managériales dans le secteur social et médico-social pour susciter l’engagement des collaborateurs sur le long terme ?
La réflexion sur le sujet étant engagée, se posent alors les questions suivantes : Comment ventiler nos organisations et leur donner un peu d’air ? Comment oxygéner de l’intérieur les systèmes et leur fonctionnement ?
Les nouvelles formes d’organisations du travail et les outils managériaux attenants souhaitent dépasser les limites des formes de régulation des organisations du travail issues des structures pyramidales et très hiérarchisées. Ces dernières motivent les professionnels par un système de punitions-récompenses. Promettant sanctions disciplinaires diverses, mise au placard et licenciement aux égarés, et primes, reconnaissance et promotions aux engagés ! Ces structurations relationnelles basées sur le contrôle a priori et à postériori de l’ensemble des ressources humaines (en plus des autres ressources) ne suscitent pas d’engagement des collaborateurs sur le long terme, ni la confiance de ceux-ci envers leur hiérarchie.
Dans leur capacité plus humaniste, les nouveaux outils managériaux semblent à ce jour les meilleurs leviers d’évolution.
« Pour se distinguer, à faibles ressources égales, la
Mr Thibaud BRIERE
différence se fera dans le management, par la manière
dont on doit faire les choses »
Le management est la manière propre à chacun d’innover, de laisser une empreinte humaine, sa propre patte personnelle dans l’accompagnement de son équipe. Il permet au manager de devenir un guide qui adapte et ajuste sa pratique et ses relations aux besoins de ses équipes et de ses services. Dans ce contexte, le manager a besoin d’autonomie et de flexibilité dans ses pratiques et prises de décisions, afin d’être à l’écoute de l’instant et réactif au bon moment : « Il faut que le manager habite sa fonction et il doit être autonome dans sa personnalisation de sa relation aux autres » (T. BRIERE8, entretien 12/2022). Son empreinte personnelle, son agilité et sa liberté engage une dynamique et une énergie importante, tels des poumons chargés en oxygène !
La posture du chef d’équipe, chef de service, cadre de santé, supporte à ce jour une mue délicate. Posant ses galons sur le coin de son bureau, laissant reposer les rapports et analyses statistiques, et déposant son masque d’autorité, il se transforme subtilement en guide de son équipe. Fort de son agilité et de sa flexibilité, Il s’adapte à son environnement et aux pratiques sociétales en émergence. L’ancien chef est devenu un accompagnateur, un facilitateur. Le nouveau manager facilite l’émergence de dynamiques collectives, la communication interprofessionnelle, la communication pluridisciplinaire, la cohésion d’équipe, l’élaboration de projets collaboratifs et participatifs, l’inclusion de toutes les parties prenantes de l’organisation…Le manager facilite les relations humaines.
Laissant ses équipes plus autonomes, il les soutient dans leur créativité et leurs engagements au service de l’organisation. Il les guide, les recentre, et les accompagne dans leurs projets communs et dans le déploiement de leur raison d’être collective. Il est ainsi le garant du « pourquoi » et donc du sens. Il veille à ce que chaque collaborateur comprenne son rôle dans l’organisation, ce qui est attendu de lui, afin d’agir en autonomie et responsabilité. Pilier d’un nouveau dynamisme engagé au sein de l’organisation, le manager ne peut agir seul et se doit d’utiliser de multiples ressources et qualités, indispensables à la pérennité et réussite de sa facilitation.
Dans une organisation respirante chaque collaborateur est un globule rouge qui apporte individuellement l’oxygène, et participe collectivement à la respiration de l’organisme. Le collaborateur se doit d’être autonome dans le rôle qui lui est confié au sein de son organisation. Le manager lâche prise et laisse à chaque professionnel la possibilité de se réaliser9. Il « cadre » les missions et définit les périmètres de compétences et de responsabilité des professionnels. Pour cela, il veille à la clarté de ce « cadrage » et à son réajustement permanent. Le collaborateur participe aux échanges multiples et s’engagent à partager ses expériences, à échanger sur des points de divergences, et participe aux feedbacks horizontaux.
Contrôle organisationnel : comment trouver le juste équilibre dans une nouvelle structuration ?
Dans les échanges entre pairs, lors de processus décisionnaires où chaque collaborateur est sur un pied d’égalité, c’est la force de l’idée ou de la proposition puis devient l’argument et fait autorité, et non l’inverse. C’est cette position centrale et individuelle du collaborateur au sein d’un collectif puissant qui le valorise, le responsabilise et l’engage dans un but commun et une raison d’être, lui conférant la justification de sa place. La place de chaque protagoniste d’une organisation est garante d’une reconnaissance de posture, de droits, de devoirs et de placement au sein de celle-ci : « on pense la place comme la garantie d’une stabilité, d’une continuité, elle répond sans doute à un certain besoin d’ordre, de définition, de distinction »10. Ainsi, selon la place de chacun, définie par la structure de l’organisation elle-même ou par les règles sociales ou culturelles, chacun se voit attribuer un rôle. Acceptant ainsi le mode de contrôle qui ventile les relations au sein de ce même système. Diverses stratégies de contrôle s’appliquent au sein des organisations et sont liées au système organisationnel lui-même. Par exemple, les organisations bureaucratiques s’attacheront au contrôle par les règles, les organisations à mission, engagées par des valeurs appliqueront un contrôle plus social.11
Une nouvelle structuration organisationnelle doit préalablement réfléchir à quel contrôle organisationnel elle doit faire face ou à celui qu’elle veut mettre en place. Le contrôle prend la forme de la régulation des relations interdépendantes de l’organisation, des flux informels et formels qui circulent, de la capacité de l’organisation à une respiration autonome. Trop de « checking » (vérification) et de « monitoring » (surveillance) peuvent asphyxier les collaborateurs, le contrôle par les pairs qui prend la forme d’un contrôle social peut engendrer de graves dérives de manipulation des individus par le collectif, un étouffement social. Quel que soit sa structuration, une organisation subit ou choisit son « control mix » (ou contrôle organisationnel). Celui-ci doit être à la fois le plus adapté possible à la stratégie managériale adoptée, et à la fois le plus ajustable possible pour réagir rapidement aux situations nuisibles.
La logique de parcours professionnel pour répondre aux aspirations des générations Y et Z
Les organisations confèrent un rôle à chaque participant, des règles et des devoirs, des relations interopérables, une place à chacun. Qu’il soit une personne accompagnée ou un professionnel, chacun a, jusqu’à présent, une place déterminée. « Mais l’ordre (lié à ma place) me classe autant qu’il me déclasse. Et l’on se méfie des places assignées qui prescrivent nos comportements et prédéterminent nos actions. […] La place qu’on garde nous inscrit dans une certaine continuité, mais elle peut aussi briser l’élan en nous »12. Cet élan de mobilité, de cheminement, de parcours.
Depuis plus de 20 ans, Mr Jean-René LOUBAT prône la transition d’une logique de place pour les personnes accompagnées, à une logique de parcours. Ce glissement de logique suit les mutations sociétales, les évènements politiques, démographiques, écologiques, ainsi que le déclin des organisations qui ne peuvent plus fonctionner par manque de ressources. Cette logique répond également au besoin d’adaptation des prises en charges des personnes accompagnées tendant vers le respect du pouvoir d’agir et de la citoyenneté de ces personnes.
Sans grande surprise, l’évolution concerne également les professionnels. Désormais, la place et la carrière ne sont plus les principaux objectifs des professionnels que nous souhaitons garder ou attirer. Il nous faut envisager des parcours professionnels, connaissant l’individu et ses aspirations. Comment accompagner un professionnel pendant une période donnée et préparer la suite de son parcours ? Que pouvons-nous lui apporter durant cette période, et réciproquement ? Promettre à un jeune travailleur une carrière avec salaire exponentiel ne suffit plus.
Un brin étouffant par son manque de souplesse, dû au code du travail notamment, les dispositifs de ressources humaines sont au cœur de ces nouveaux parcours professionnels. Innovants dans les méthodes de recrutement, développant de nouveaux contrats, préparant des coaptations, tutorats, parrainages et autres techniques d’accompagnement et de fidélisation. La logique de parcours professionnel n’est cependant pas une technique avec une méthode et des procédures. Elle est un mode de pensée qui colle au plus près des aspirations des professionnels des générations Y et Z.
Mr MACGREGOR, Professeur au MIT USA expose que « les travailleurs n’ont pas les mêmes attentes au travail en fonction de leur génération ». Sans opposer celles-ci on constate que la génération X, aux commandes à ce jour, aime le respect des règles et de la hiérarchie, et fait carrière, même si parfois, elle n’aime pas son travail. Les travailleurs Y recherchent le plaisir et l’épanouissement dans leur travail, ils souhaitent que tout aille vite et obtenir plus de responsabilités. Ils sont impatients et rejettent la hiérarchie. La génération Z arrive tout juste sur le marché du travail. Elle semble animée par le sens et la valeur de ses missions, la flexibilité des organisations, et le travail collaboratif. Bien entendu, il s’agit là de généralisations indiquant simplement de grandes tendances, et il semblerait que les comportements et aspirations soient les mêmes pour tous, et que chacun vive avec son temps, son époque et s’y adapte. Souhaitant des missions épanouissantes, dans une bonne ambiance, et pouvant subvenir à ses besoins financiers.
A ce jour, l’enjeu réside dans le management intergénérationnel de ces générations qui cotravaillent, associant l’expertise et la transmission des plus anciens, et les aspirations des plus novices.
Pour être en phase avec leur époque, les ressources humaines doivent intégrer que l’idée de carrière n’appartient plus aux jeunes travailleurs, qui raisonnent en parcours. Il faut désormais penser en étapes de la vie professionnelle. Le recrutement n’est plus un investissement sur une ressource, qui fait ressentir au salarié qu’il est tel un objet, mais un accompagnement de parcours de vie.
Néo management, néo gouvernance, néo gestion… Les propositions sont nombreuses pour sortir des structurations diverses qui asphyxient nos institutions, structures ou établissements. Cependant, pas si néo que cela, de nombreuses organisations ont franchi le pas et respirent à nouveau.